Pour n'importe quel artiste qui pratique une discipline, le but premier de sa création a toujours été, il me semble, la volonté d'exprimer quelque chose. D'une manière ou d'une autre, l’artiste s’installe donc toujours dans un point de vue.
Par ailleurs, la particularité du medium photographique est que celui-ci a toujours été corollaire à la reproduction du réel. “Point de vue” et “réel”, voici déjà deux termes qui ont tendance à se chamailler.
En ce qui me concerne, et aussi paradoxale que ça puisse l'être, ma principale tendance avec un appareil photo (utilisé dans un cadre d'expression artistique) a souvent été de me congédier de la réalité. En effet, photographier a toujours été pour moi un moyen de sublimer, de montrer autrement, de créer une atmosphère plutôt que de montrer un sujet.
C'est dans cette dynamique que la comparaison de ces deux images s’est installée et à partir de laquelle j’ai posé la question “quelle est votre image préférée”, sous forme d’un sondage sur les réseaux. Résultats intéressants: la plupart des photographes ont voté la photo numéro un, mais malgré tout, la photo numéro deux l'a emporté auprès d'un trois quart des votes (l’audience était principalement composée de personnes qui ne sont pas photographes).
Rien de très étonnant, il est communément accepté de considérer une photo nette “réussie”, et une photo floue “ratée”. Pourtant, moi et la plupart des photographes de mon audience préférons la photo floue.
En fait, rien de neuf sous le soleil. Les impressionnistes en peinture s'étaient déjà ancrés dans un rapport à la scène qui se voulait sur le ressenti, l'impression, et non sur une reproduction réaliste de la scène. Une des images les plus emblématiques de ce courant est le soleil levant de Claude Monet où en effet, tout ce qui y est représenté repose sur l'attention à la couleur, à la lumière, à l’impression de la scène, plutôt qu'à une reproduction précise et détaillée comme le ferait... la photographie.
C'est bien en cela que la photographie peut aussi (se doit) de jouer avec les codes, avec ce qu'on attend d'elle. Encore plus à l'heure actuelle où les technologies se montrent voraces, et où, en plus des appareils photo de plus en performants, les smartphones eux-mêmes dénaturent le rapport essentiel à la technique photographique.
En d'autres termes, j'encourage toute personne à se montrer créative, en usant d'un certain décalage par rapport à ce qu'on attend d'une "bonne photo". Pour cela, il est essentiel de maîtriser en amont la technique photographique. Car maîtriser la technique est aussi essentiel que de pouvoir s’en jouer ensuite.
Pour l’anecdote, mon but avec l’image numéro un était d'avoir une image dans les tons oranges, mais sans trop de détails, pour garder une ambiance générale douce et approximative. Elle allait alors pouvoir prendre place dans un ensemble d’autres images, sans dénoter par sa grande profondeur de champ. Le sujet précis importait peu.
D’autre part, il est probable que les personnes qui ont choisi la deuxième image étaient dans un rapport à la scène qui se voulait proche de la réalité, fidèle au souvenir qu’on souhaiterait par exemple garder d’un voyage aux paysages magnifiques. Ce choix est évidemment tout aussi légitime.
Retenons donc ceci: toute photo est bonne à partir du moment où elle sert une intention.
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